C’était la 215… Enfin, je crois me souvenir… Elle était au deuxième étage de la maison d’arrêt… Aile gauche, celle qui donnait sur le nord… On était à 3 dedans. Un lit superposé… Des armatures en ferrailles qui avaient des trous… Des matelas plus qu’usés.. Des chiottes et une petite table pour pouvoir bouffer et écrire.. 12 mètres carrés…
Au début, ça avait un peu tourné.. Il y avait Bruno, un toxico très sympa, qui s’était fait serrer pour des histoires d’héroïne. Et puis, ils nous avaient mis un portugais qui était tombé pour des trucs à la con.. Il ne supportait pas d’être enfermé… Il chaussait de grosses bottes… Il passait les journées à faire des allers et venues dans la cellule.. C’était chiant.. On lui disait de se calmer... Il ne le pouvait pas ! Il essayait de faire des efforts, mais non, la tournante le reprenait… C’était l’enfer… Il nous prenait les nerfs.. Heureusement, après 15 jours de ce régime de marches forcées, ils l’ont changé de cellule.. On a été tranquille deux, trois jours.. On avait accumulé les peaux de bananes sèches pour essayer des les fumer en douce.. Ca ne nous a fait aucun effet.. Est arrivé après, un jeune cacou... un rebeu bien fringué.. Il nous racontait comment il cognait sa compagne au dehors.. On a vite trouvé l’atmosphère irrespirable… Il n’est pas resté une semaine.. Tant mieux ! Puis ça a été un type, au physique quelconque. Il nous a raconté que lorsqu’il avait été serré par les flics, il y avait eu un sacré échange de coups de feu. Sa voiture avait été littéralement tamisée de balles de 7,65… Un bouffon quoi.. Le mytho du dimanche.. On a vite appris qu’en fait le gugusse était un pointeur qui avait joué à touche pipi avec un môme.. Il a dégagé…
Enfin, la situation s’est stabilisée ; un jeune fils d’un industriel d’Amboise a débarqué dans notre cellule. Il était tombé parce que la police avait trouvé un bol d’héroïne chez lui… Ca fait désordre.. Il est resté avec nous tout le temps…
On s’est construit notre monde à nous.. On était la cellule des chevelus.. On avait tous les cheveux longs… Les gardiens ont laissé faire… Ils n’ont plus cherché à bouger qui que ce soit.. Un équilibre s’était créé… ça arrangeait tout le monde… On cantinait les bières et en fin de semaine, on se les buvait toutes ensemble en écoutant une émission de hard rock, sur une radio périphérique. On la mettait à donf et on remuait les cheveux comme des fous. On se mettait sur nos tabourets et on sautait par terre en inventant des hairsbands endiablés.. C’était le soir. Le gardien de service s’en fichait…
Dans les moments plus calmes, on gravait les murs de notre cellule.. J’avais écrit un truc contre le pape… C’est mon coté christique… En ces temps là, passait souvent à la radio, une chanson de Jimmy Cliff, reprise par Jo Jackson, dans une version remarquablement juste : « The hardey they come ». Je n’ai jamais retrouvé ce single… C’est un des grands malheurs de ma vie…
La vie en tôle, ce n’est pas grand-chose.. 23 heures de cellule, 1h de sortie.. Parfois une petite douche et le samedi après-midi, la salle de télé.. Un fois, j’ai été puni.. je parlais à des potes dans la salle de télé.. Interdit ça !! J’ai été privé de télé pendant deux semaines.. Je m’en tapais comme de l’an quarante…
On jouait à la belote de comptoir et on enrichissait le jeu en misant des trucs que nous cantinions.. J’ai gagné ainsi plein de portions de frites.. La nuit, on entendait des bruits.. Tout prenait une dimension énorme.. La nuit.. C’était comme si nous étions dans une sorte de grande boîte de métal… Tout était froid en prison.. Et puis, il ne fallait pas être malade… Lorsque tu demandais un médicament, tu ne l’avais jamais… Il fallait pratiquement se tailler les veines pour être écouté… Il y avait aussi les hurlements des types que les matons descendaient au mitard. Ils passaient avant dans une sorte de « tribunal » interne avec comme accusateurs public le maton chef et le directeur de la prison.. Ils faisaient ce qu’ils voulaient des bonshommes ceux là… Parfois, on entendait des coups.. Tout résonnait… La détresse des gens… T’es en plein dedans en prison…
Durant l’heure de promenade, on rencontrait d’autres compères.. Il y avait de tout.. De vrais fauves et des types étonnants… J’ai même rencontré un type «au dessus du lot», genre classe, truand à l’ancienne quoi… Un artisan quoi !
La bouffe était globalement dégueulasse, souvent servie froide et le pain était toujours rassi.. Je suis resté quelques mois au zonzon et j’ai perdu 5 kg… Une fois, c’était tellement à gerber qu’on a mis nos tranche de foie aux chiottes… Le problème, c’est que ça a bouché les WC et qu’on ne pouvait pas avouer notre nouveau «crime» aux matons.. Ils nous auraient envoyés illico au mitard… Alors, durant plusieurs jours, on a touillé la merde afin de faire passer la viande par le goulot… A un moment, gloups, la chasse d’eau a triomphé de la barbaque… On était sauvé ! On n’a pas attrapé de maladie.. On était veinard… C’était l’été… Un été de perdu.. à vingt ans.. Cela fait mal…
Je suis sorti en octobre. Le fils de l’industriel m’avait précédé de quelques jours… Il avait des «garanties suffisantes» pour recouvrer la liberté… Le fric à papa.. Bruno, l’autre toxico, prolo, est resté au zonzon plusieurs mois encore…
Lorsque je me suis retrouvé rue Henri Martin au dehors, je n’entendais plus rien… Les bruits extérieurs étaient tous cotonneux, lointains.. Il m’a fallu plusieurs heures pour me réadapter aux bruits de la ville… Aux bruits de la vie…
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